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01-10-2003

Arman Méliès - Cinq digressions

Arman Méliès

"Cinq digressions"

Le français est généralement une langue qui ne colle pas vraiment avec le folk calme tourné vers l'Amérique. Pourtant, avec son premier mini-album qui vient tout juste de paraître, Arman Méliès vient de réaliser l'exploit de faire planer des mots aériens aux intonations pop sur des rythmes arides et doucereux. Voilà donc une personne que l'on va suivre attentivement et tenter de faire participer à notre hinah series.

Les cinq mots choisis par Arman Méliès :
Rencontrer
Fabuler
Construire
Rêver
Vomir


# Rencontrer
Dans une logique qui n'appartient qu'à l'Homme, cet animal paradoxal, on prête aux immobiles des vertus extraordinaires. A force de ne pas bouger, c'est le monde qui est censé tourner autour de nous. L'inaction serait alors une des plus hautes manifestations de la sagesse humaine. En est-on si sûr ? Et si être sage, c'était oser ? Quitte à prendre au passage quelques risques et moult gadins.
Il trépignait sur sa chaise avec une excitation comique depuis un bon quart d'heure quand tu te décidais enfin à l'aborder. Pourtant, dix minutes plus tard, tu avais la certitude inexplicable d'avoir en face de toi l'un de ces sages dont sont remplies les légendes et les nouvelles médiocres.
- Bonjour. Ethan je suppose ? Nous avons rendez-vous au sujet de...
Ta voix ne tremble pas, mais à voir la manière dont il s'écarte de la table et te tend la main, tu ne finis pas ta phrase, devenue inutile.
- Enchanté.


# Fabuler
Vingt minutes plus tard, la conversation bat son plein. Il t'explique avec passion son projet. Un programme serait sans doute un terme plus approprié, te dis-tu intérieurement. Assurément, la musique est pour lui tout autre chose qu'un divertissement. Le propre de l'art, selon ses dires, est de modifier le réel par le truchement de l'apparence. La fabulation agit directement au coeur des choses, les malaxant insidieusement pour faire naître de l'ancien monde une réalité autre.
- Les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, assène-t-il en ponctuant sa phrase de percussions rapides sur le bord de sa chaise.
- Tu veux dire qu'il existe une vérité derrière les phénomènes visibles ?
Tu a dis ça sans vraiment y penser, par automatisme, presque, en te rappelant d'un vieux bouquin que tu avais lu au sujet du bouddhisme mahayana. Tu regrettes déjà le lieu commun que tu viens d'asséner. Tu sais qu'il n'apprécie que modérément l'image caricaturale que donnent de lui les mass médias.
Il sourit, se passe la main dans les cheveux, qu'il a longs et légèrement gras.


# Construire
Il reprend.
- Rien n'est figé. Le fatalisme diffus que nous assène quotidiennement la pensée dominante voudrait nous faire croire que le monde est ainsi qu'il devrait être. C'est là me semble t-il l'une des principales leçons de la musique populaire contemporaine. En tout état de cause, l'une de celle qui restera quand il ne restera plus rien de tout ce folklore à paillettes. De Robert Johnson à Johnny Rotten, tous les artistes un tant soit peu valables du vingtième siècle n'ont pas dit autre chose : le monde moderne reste à construire, si possible sur les cendres de l'ancien. Quoiqu'en disent aujourd'hui les états généraux du divertissement, distraire, vendre, surveiller, n'ont jamais été du domaine de l'art. Le monde que l'on nous demande d'accepter est faux.
Il s'arrête de parler et te scrute derrière sa frange brune. Manifestement, il attend une réaction.


# Rêver
Chroniqueuse dans un hebdomadaire aux compromissions inversement proportionnelles aux nombres de nouveaux abonnés (les temps sont durs pour tout le monde, te redis-tu ironiquement), tu comprends certes ce qu'il raconte (toi aussi, tu as lu Greil Marcus et Thomas Pynchon), mais tu ne saisis pourtant pas où il veut en venir.
- Qu'attends-tu de moi, au juste ?
- Tu es rédactrice, non ? Je veux que tu écrives.
- Sur quoi ?
- Je veux que tu continues l'histoire.
Il te dévisage, et les deux Martinis que tu viens d'avaler durant la discussion donnent maintenant à son faciès décharné des allures d'angelot canaille.
- Quelle histoire ?
- Notre histoire. Ce que les lecteurs, devant leurs écrans scintillants, sont actuellement en train de découvrir.
Tu dégluties mais ta bouche est étrangement sèche.
- Le principe premier de l'évolution humaine est la création. Les accords sauvagement assénés par Neil Young dans Zuma ou la gouaille moqueuse de Dylan sur Blonde On Blonde réinventent tout, chaque jour. Une rêverie subjective qui détourne le monde, un laboratoire des changements potentiels, un discours sur le réel et le possible. L'art est la vie même. Ces " cinq digressions " ne sont qu'un préambule. Dis-toi que demain sera fait des mots que tu vas maintenant écrire. Rappelle-toi ce que disait le dadaïste Hugo Ball : " Il faudrait brûler les bibliothèques et n'en garder que ce que chacun a retenu par coeur. Alors commencerait un beau siècle de légendes ".


# Vomir
- La suite t'appartient, reprend-il. Et le lecteur compte sur toi. Ne l'ennuie pas.
Il se lève, se dirige vers le comptoir où il règle tes consommations. Lui n'a rien bu.
A la radio, une station diffuse un titre de Phil Collins. Tu te lèves à ton tour, et te diriges vers les toilettes. Là, Tu y soulèves le couvercle et la lunette d'un seul geste, et tu vomis. A l'extérieur, tu distingues ses pas qui s'éloignent puis disparaissent.
Tu as peur.
Tu te rappelles alors la phrase de Nick Tosches, dans " La main de Dante " : quand la crainte du danger nous retient, on ne vit pas. Ce n'est pas ce que nous faisons qui nous tue, c'est ce que nous ne faisons pas.

 
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